Carta Academica : L’industrie automobile, ce nouvel allié vert…

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Written By MilleniumRc

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Quelques chanceux auront sans doute le privilège de s’évader à bord d’un vaisseau spatial, mais pour le reste, il faut l’avouer, la vie risque de se compliquer lorsque les océans auront englouti les continents. La planète résiliente se rétablira, mais le défi sera de taille pour les arrière-petits-enfants de ceux à venir. Penser vert, c’est donc penser rouge : l’écologie, finalement, n’est autre que la défense des intérêts humains.

Pourtant, lorsque les géants commerciaux et les États font des efforts suffisants, certaines propositions socialement douteuses parviennent à convaincre de leur pertinence verte avec une facilité déconcertante. Il est donc surprenant que l’aviation privée et le transport maritime soient si peu concernés, mais que l’usage généralisé de la voiture électrique, que les gouvernements européens promeuvent avec ferveur, soit plutôt présenté comme un élément essentiel de la révolution écologique. Il semble même avoir accordé une confiance quasi totale aux groupes automobiles, pour peu qu’ils aient la volonté de concevoir des modèles « zéro émission ». Cet engouement pourrait toutefois avoir de graves conséquences.

Sommaire

À la casse, les dix ans d’âge

À la casse, les dix ans d’âge

A partir de 2035, les voitures thermiques neuves ne seront plus vendues dans l’Union européenne. Cette interdiction concernera les voitures fonctionnant exclusivement à l’essence et au diesel, mais aussi les véhicules hybrides. Ainsi, les voitures équipées d’un réservoir GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou GNC (gaz naturel comprimé), carburants à combustion très propre, seront également interdites. Dans une bonne dizaine d’années, si rien ni personne ne vient contrecarrer ce plan, la majorité des véhicules circulant sur les routes belges seront désormais entièrement électriques. Les jeunes devraient être les premiers à s’en réjouir : l’entrée de gamme n’est qu’aux alentours de 20 000 euros.

Bien sûr, vous pouvez toujours acheter des véhicules « anciens » sur le marché de l’occasion. Il est même probable que les propriétaires finiront par les donner, car l’ecomalus, cette petite exclusivité wallonne, n’aura pas de prix. Cette taxe, calculée en fonction des émissions de CO2 du véhicule et pouvant atteindre 2 500 €, s’ajoute à la taxe de circulation annuelle, qui est calculée principalement en fonction de la puissance du moteur et du poids de l’engin. En cas de nouvelle acquisition, vous devez également être prêt à payer une taxe d’immatriculation, qui doit être acquittée une seule fois mais peut tout de même avoisiner les 5 000 €.

Déjà aujourd’hui, dans le domaine de l’ecomalus, le montant des taxes annuelles pour un véhicule de dix ans sans prétentions, parfaitement fonctionnel, mais avec le malheur de rouler au Diesel, dépasse souvent les 1 000 €. Il n’est donc pas surprenant que cette somme soit supérieure au prix de la voiture, et puisque la volonté politique est d’éliminer ces véhicules, il est également probable que l’éco-valeur continuera à être revue à la hausse d’année en année.

Alors, effectivement, ces moteurs polluent… mais il ne faut pas oublier que la Belgique, toujours en 2010, accordait de nombreuses primes pour l’achat de ces véhicules diesel. Dix ans plus tard, le parc automobile en est logiquement saturé, et donc ces opportunités sont plus accessibles aux acheteurs aux revenus faibles et moyens. Dommage pour les pauvres, mais c’est donc aussi sur ces voitures qu’une taxation excessive est désormais appliquée, notamment en Région wallonne.

L’occasion est passée. Nous devons investir dans l’électricité et jeter les voitures que nous avons encouragé les gens à acheter hier. C’est le moment de la durabilité, a-t-on dit. S’il est encore possible d’obtenir quelques billets, les vieux véhicules des Européens peuvent aussi être revendus sur le continent africain. Apparemment, la pollution y serait moins nocive.

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Ne dit-on pas que l’électricité coûte cher ?

Ne dit-on pas que l’électricité coûte cher ?

On rétorquera que si les voitures électriques sont vraiment chères, l’investissement est, à long terme, rentable. Le carburant est cher. C’est vrai, surtout quand les États hésitent à appeler Total et ses amis pour demander. L’électricité, en revanche, serait abordable. Tu dois croire Les dirigeants ont en tout cas trouvé un prétexte inattendu pour évacuer l’épineuse question des centrales nucléaires, qui commençait à être difficile. De plus, depuis la COP de Glasgow, l’atome est au vert (1), sans doute parce qu’il est nécessaire à l’électrification du parc automobile européen. Tout est bien qui finit bien, surtout à Bure (2), et désolé du dérangement.

Sans une éventuelle « prime de réparation » – gentiment offerte par l’Etat sous mille et une conditions d’accès – il faut aussi se préparer à voir des voitures dormir dans des garages dont les factures d’entretien et de réparation resteront impayées… car plus qu’inestimables. Sommes-nous avertis, par exemple, que le prix d’une batterie neuve pour la petite Renault Zoé avoisine les 8 000 € ? Pour la plupart des véhicules électriques, il suffit de compter 15 000 €. Il est vrai que des garanties peuvent parfois être invoquées, mais ces garanties sont conditionnées par l’âge et le kilométrage du véhicule qui, en moyenne, ne doit excéder ni huit ans ni 160 000 kilomètres.

Dans certains cas, heureusement, on peut simplement remplacer les quelques éléments défectueux de la batterie : c’est ce qu’on appelle la régénération cellulaire. Certes, l’opération, bien que moins coûteuse qu’un changement complet de batterie, a également un coût, et la question de la garantie se pose à nouveau. Huit ans et 160 000 kilomètres, il fut un temps où j’étais encore relativement jeune, pour une voiture. Mais qui est susceptible d’avancer plusieurs milliers d’euros pour réparer un véhicule acheté il y a moins de dix ans pour, disons, plusieurs dizaines de milliers d’euros ? Les prix semblent également à la hausse car l’Europe dépend fortement des pays étrangers, et en particulier de la Chine, pour la fabrication de batteries. En effet, ceux-ci contiennent des métaux rares quasi absents des sols européens. Bonne idée…

Quant au marché du véhicule électrique d’occasion, il est donc très difficile d’y penser. Il va falloir apprendre non pas à posséder des véhicules, mais à les louer, désolé. Nous attendons avec impatience la réponse des infirmières et des aides à domicile.

De licence à licenciement, il n’y a que quelques lettres

De licence à licenciement, il n’y a que quelques lettres

Tout n’est pas mauvais, faisons le tri. La plupart des clients devront contracter des emprunts pour réparer leur voiture mais, en revanche, l’activité des mécaniciens semble sécurisée. Certes, quelques gros concessionnaires devraient gagner, mais probablement pas le petit garage du coin de la rue, qui n’a plus rien à ronger face à la concurrence déloyale d’Auto 5 et de Point Vert.

Les voitures d’aujourd’hui sont, en fait, d’énormes ordinateurs ; une marque s’est récemment vantée que son dernier SUV était « comme votre téléphone, mais en plus gros ». Pour les réparer, il faut donc disposer d’un autre ordinateur, fourni par la marque et, surtout, des logiciels et mises à jour officiels de ladite marque. Pour « diagnostiquer » – c’est le jargon – le garagiste doit disposer d’une licence, que la marque doit accepter de lui vendre. Cette licence, il va sans dire, est chère, et généralement pas accessible aux petits indépendants. Cependant, en plus de conditionner l’accès aux logiciels de diagnostic, cette licence est nécessaire pour vendre des véhicules neufs. Et c’est là que le bateau sombre car, en plus d’être excessivement onéreux, ces autorisations ne sont accordées que sous réserve du respect d’un cahier des charges important.

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Le contenu de ce livre varie selon les marques, mais la tendance générale est claire : les concessions doivent être plus grandes et plus modernes. Pour être distributeur officiel d’une marque, il faut surtout vendre un certain nombre de pièces et de véhicules par an. En général, le « quota automobile » s’élève à quelques centaines de véhicules en agglomération et à quelques dizaines en campagne. Atteindre ce quota est relativement possible en ville mais relève de l’exploit dans les petites communes. Bien souvent, la concession doit également accueillir une dizaine de modèles d’exposition. Pour le propriétaire de l’ancien garage familial incapable de pousser les murs, il ne reste plus qu’à investir quelques milliers, voire quelques millions, dans l’aménagement d’un nouveau showroom, ou louer un grand parking à proximité de son commerce. Quant aux enseignes dites « haut de gamme », elles commenceraient à proposer à leurs grands distributeurs l’installation de cafétérias-restaurants. On ne sait pas encore si les boulettes de viande suédoises seront au menu.

Et bonne route à tous…

Et bonne route à tous…

Le secteur automobile privilégie aujourd’hui l’image de marque à l’implantation territoriale, ce qui n’a rien d’étonnant, car conduire une voiture sera bientôt un luxe. Pour de nombreux établissements indépendants, il est clairement impossible de répondre à toutes ces exigences. Cependant, sans permis, il est impossible de vendre et de réparer des voitures neuves, et pour un mécanicien, il faut l’admettre, c’est un problème. Incapables de respecter le cahier des charges clairement rédigé pour les couler, de nombreux garagistes sont donc contraints d’emprunter de manière démesurée – à chaque fois qu’ils sont suivis par la banque – ou de limiter leurs activités aux véhicules plus anciens – et bientôt ils mettront la clé sous la porte. Obsolescence programmée des indépendants ? Quant aux automobilistes en campagne, ils s’apprêtent à devoir parcourir de nombreux kilomètres pour changer une simple ampoule de phare. Nous vous souhaitons de profiter de la conduite électrique.

L’industrie automobile respecte-t-elle vraiment l’écologie et ses impératifs sociaux ? Rien n’est moins sûr. Fort de la confiance aveugle que semblent lui accorder les dirigeants européens, il orchestre au contraire la chute des garages de proximité traditionnels et les inégalités de mobilité. Quant à la voiture électrique, au nom de laquelle sont donnés ces chèques en blanc, ce n’est pas la grande héroïne du siècle mais une voiture jetable, inaccessible au plus grand nombre, et garante du bon vieux temps du nucléaire. Ceci sans même remettre en cause les impacts socio-environnementaux de l’extraction des métaux rares.

Et tandis que les États investissent des millions dans la construction de bornes de recharge, les petites bornes, indispensables à une véritable mobilité sociale et écologique, continuent de disparaître.

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